Sur les fouilles de «sauvetage», dites aussi fouilles «préventives», aujourd’hui, bien des progrès ont été accomplis (SRA-Services régionaux de l’archéologie, cartes archéologiques, INRAP-Institut National de Recherches Archéologiques Préventives, etc.), mais il existe des zones où rien n’est fait ! Par exemple, la ville du Puy-en-Velay, où l’on se permet de ne pas fouiller une place située au centre ville, la place du Clauzel, connue de tout temps comme cimetière (inhumation des pauvres) de l’Hôtel-Dieu. Le Cluzel (1572), le Clozel (1689) (de même vocation que le Glozel, célèbre site a-préhistorique de l’Allier !) évoque un lieu clos, et du reste un mur le cernant y a été découvert (Gatto, Nectoux et alii 2011, cet article faisant apparaître tous les « travaux » archéologiques de 2006 à 2009).
Pourquoi n’y a-t-il eu aucun sondage archéologique sur la place du Clauzel ? Et pourquoi, lorsque les premières sépultures ont été identifiées, n’y a-t-il eu aucune fouille, ni préventive ni simplement diagnostique ? – Mélange entre la politique et l’archéologie, – mélange entre la brocante et l’archéologie de terrain, – mélange entre une beauté factuelle et une certaine froideur (ou même une certaine rigueur technico-administrative), ce sont toutes ces questions qui se posent, et auxquelles je vais tâcher de répondre, plus ou moins, honnêtement… Serai-je donc taxé de clauzelithe aiguë (figure 1) ?
La place du Clauzel, dans sa nouvelle partie, occupe une surface de plus de 800 m², (un rectangle de 40 m de long pour 20 m de large), et même plus si l’on prend la rue du Collège, dans laquelle une dizaine de tombes gisaient encore… Et pourtant, la diagnose négative des premiers sondages a influé les gestes des archéologues du Service Archéologique Régional, puisqu’ils ont donné le feu vert à l’aménagement de la place. On peut parier, sans grand risque d’erreur, que le même projet présenté dans une grande ville administrative telle que Lyon ou Clermont-Ferrand, aurait fait l’objet d’une diagnose archéologique préalable à tous travaux modernes… La légèreté avec laquelle ils ont pris l’aménagement de la place pourrait s’admettre si l’on suit les avis historiques négatifs (cimetière déplacé, fouille au XVIIIe siècle, sondages négatifs), mais une simple observation de la place, telle que nous l’avons faite, rend caduques ces seules constatations (figure 2).
La stratigraphie, relevée pratiquement pendant les travaux en mars 2008, constitue un premier fait archéologique d’importance, et aurait pu, dix mois avant le démarrage des travaux sur la place du Clauzel, faire changer d’avis le Conservateur des Antiquités d’Auvergne (qui était mis au courant). On y observe deux choses très distinctes (figure 2 et figure 3, coupe C6) : une première fosse, nommée la fosse A, présente un remplissage limono-graveleux avec des ossements humains fort disparates hors connexion. Ce remplissage n’avait pas le même but que la fosse elle-même, taillée dans la marne : fosse de recherche de chaux calcaires, fosse de four à chaux, fosse de traitement secondaire des os, trois hypothèses contraires ? à sa gauche, une fosse est remplie de limons bruns serrés contenant quatre sépultures en place, ce qu’on a vu après la rectification de la stratigraphie, pratique indispensable pour établir la réalité archéologique. C’est depuis ce travail qu’on s’attendait à découvrir de nouvelles sépultures dans cette zone.
En réalité, c’est toute la zone méridionale de la place qui est concernée !
Dès les premiers coups de pelle mécanique, j’ai averti le SRA, d’autant plus facilement que je tenais à l’époque un magasin de brocante qui donnait directement sur la place (figure 3).
Évidemment, trouver un brocanteur et ancien archéologue, ça n’existe qu’au Puy…, mais il faut faire avec ! Cette fois encore, nous n’avons eu aucune autorisation de fouille, même de diagnostic, mais notre intervention put se faire dans les règles, avec une personne du SRA. Le fait marquant est l’ampleur de la stratigraphie, puisqu’on retrouve sur 1,50 m de large, 7 sépultures figurant au moins 5 niveaux distincts, représentant cinq à six siècles d’inhumations médiévales, la plus vieille ayant été datée par le C14 des environs de l’an mil : POZ 299197 = 1015 +- 30 B. P., soit en calibré 985 – 1030 A. C. (figures 4 et 5) …
Dans la partie septentrionale de la place, au sud de la fontaine, le décaissement a fait apparaître de nombreuses sépultures, dont certaines en maçonnerie, et un reste de muret avec de nombreux ossements hors connexion. La coupe C6, faite théoriquement après les travaux, montre simplement la différence entre la coupe du XVIIe siècle et le profil de la place après les travaux du XIXe siècle. On voit bien que les deux tiers de la place sont déjà détruits, et que les observations faites en 1848 par Auguste Aymard restent valables … À ce propos, signalons encore une fois que des simples sépultures, comme devaient l’être celles du Clauzel, sans aucun aménagement ni muret de place, sont très faciles à décaper à l’aide d’une pelle mécanique, assortie de ses camions de chantier, et sont difficiles à observer selon l’angle de l’archéologue, que ce soit en coupe ou en plan. Ce qui explique le fait d’une incompréhension de la part des aménageurs et des décideurs de la chose, surtout lorsque ceux-ci n’ont que l’usage de leurs policiers municipaux pour faire fuir les curieux…
Et pourtant, la fouille d’un lieu sépulcral au centre de la ville aurait certainement été très intéressante pour l’anthropologie des Xe – XVIe siècles, pour l’analyse taphonomique et pour la paléopathologie, et aurait eu beaucoup de succès vis à vis du public ponot, si la municipalité, de gauche comme de droite, s’était montrée intéressée…
Reste encore une dernière chose, l’évaluation du nombre de sépultures détruites par les travaux de 2009. Pour le Conservateur régional de l’archéologie, « c’est malheureux que des sépultures nous aient échappé, mais d’un point de vue scientifique, ce n’est pas dramatique, c’est malheureux. Si elles existaient, elles ne seraient pas passées inaperçues. » (Arene 2009, p. 9). Alors quoi ? Y avait-il : zéro sépulture ? (avis d’un adjoint au maire, chargé de la voirie et du bâtiment), cinq ou six sépultures ? (position du SRA), ou plus de deux cents sépultures, selon mes propres observations ? Le lecteur seul aura sa certitude, ou bien sera resté sur sa faim … Mais qu’il sache que ce sujet est en cours de discussion scientifique parmi les paléoanthropologues et les archéologues : faut-il tout fouiller ou au contraire donner plus de moyens aux grandes fouilles de grands ensembles ?
Restent une dernière chose, et pas des moindres, le devenir archéologique des places du Clauzel et du Martouret. Pour la première, le bilan est fait, en tout cas pour cette génération : subsistent, dans la partie sud de la place, toutes les sépultures du début de l’inhumation, en gros vers l’an 1000, et la limite méridionale de la place est à trouver (de la besogne pour nos futurs collègues du XXIIe siècle !). Quant à la place du Martouret, tout reste entier…
Mais, comme me le disait, avec son fameux proverbe russe, mon cher ami Dimitri Zurov : « Oî abu, Oî boira… »
Bibliographie
GATTO Esther, Nectoux Elise, VALLAT Pierre et VORUZ Jean-Louis, 2011. « Nouvelles données archéologiques sur le cimetière médiéval et moderne de la place du Clauzel au Puy-en-Velay (Haute-Loire, Auvergne) ». Bulletin historique de la société académique du Puy-en-Velay et de la Haute-Loire, tome LXXXVII, édition du 100e anniversaire (Archéologie, en collaboration avec le Groupe de recherches archéologiques du Velay), p. 188-227.
Et trois articles de journaux :
- CHAMBON-Jaccard Aurélie : « Clauzel : encore des sépultures ». L’Eveil de la Haute-Loire, vendredi 16 janvier 2009, page 12. (Article d’une demi page de texte faisant état de « fouilles archéologiques préventives », accompagné de trois photographies montrant les coupes stratigraphiques le long de l’office de tourisme).
- TEYSSIER Christophe : « Place du Clauzel : les tombes ne font pas de vieux os ». La Tribune – Le Progrès, mardi 7 juillet 2009, page 7. (Une page de texte avec les différents avis, dont celui de J.-L. Voruz, et la photographie de Gérard Adier présentant une sépulture, la tombe F, découverte le 23 juin 2009.)
- ARENE Jean-Jacques : « Place du Clauzel : Le dossier est clos pour la DRAC ». La Tribune – Le Progrès, samedi 11 juillet 2009, page 9. (La Direction régionale des affaires culturelles classe le dossier des sépultures disparues du Puy-en- Velay. Les ossements récupérés seront confiés à l’évêché.)
Extrait de l’interview de Jean-Louis Voruz, présenté par C. Teyssier dans La Tribune :
« – Vous vous êtes rendu plusieurs fois sur le chantier depuis la mi-janvier. Qu’avez-vous observé ?
– Depuis 2006, j’ai observé le démarrage et les débuts du chantier. J’ai constaté que les professionnels sur le chantier avaient une méconnaissance totale des sciences de l’environnement comme la géologie du terrain, la géomorphologie, les strates et donc les couches archéologiques. Dès que je me présentais en observateur, je me faisais refouler.
– Avez-vous des objets ? Des sépultures qui présentaient un intérêt archéologique ?
– Les objets trouvés sont de petits objets contenus dans les tombes et hors contexte, comme des céramiques, des os d’animaux taillés, des tuiles. Toutes les sépultures ont un intérêt anthropologique et nécessiteraient un travail d’une semaine par sépulture pour un spécialiste. Il y a environ 250 à 300 sépultures sur ce site du Clauzel, et qui ont été presque toutes détruites par les machines.
– A quelles périodes appartiennent les tombes détruites. Y a-t-il eu des datations ?
– Une stratigraphie de 2,70 m de hauteur a été relevée avec à sa base des sépultures creusées dans la marne tertiaire avec des orthostats au-dessus de la tête des squelettes. Une datation indique 1015 + ou – 30 before present (NDLR : entre l’an 945 et 1045) ; plus haut on constate quatre couches de sépultures. Il est connu que ce site était un cimetière de l’Hôtel Dieu du Xe au XVIe siècle.
– Est-ce que, selon vous, les choses se sont passées dans les règles de l’archéologie préventive ? Aurait-on pu faire autrement ?
– Oh que non… ! Il n’y a eu aucun sondage archéologique sur cette partie du Clauzel malgré les connaissances historiques. Nous aurions été dans une grande ville administrative, comme à Lyon ou Clermont, il y aurait eu des sondages poussés avant les travaux.
– Avez-vous fait part de vos constatations à l’aménageur et au SRA ?
– Je n’ai pas de constatations des faits envers l’aménageur, qui est toujours trop pressé pour écouter les autres avis, mais plusieurs envers le SRA. »
Légendes des figures :
Figure 1 : le Puy-en-Velay, carte postale ancienne de la place du Clauzel et de la rue du Collège, le jour du marché (ancêtre de la brocante), un samedi entre 1900 et 1904. Vue en direction du nord-ouest. Photographie de Louis Margerid-Brémond, intitulée « La Friperie, place du Clauzel, marché comique de ferrailles et vieilleries de toutes sortes » (sic). Les gens ne se rendent-ils pas compte qu’ils ont sous leurs pieds une stratigraphie de plus de deux mètres d’épaisseur de tombes ? (Collection privée de Dimitri Zurov).
Figure 2 : le Puy-en-Velay, place du Clauzel, profil de terrain C6, sud – nord, entre la mairie et l’ancien cinéma (maison des œuvres), représentant l’évolution de la topographie et les découvertes archéologiques, et soulignant l’important décaissement du terrain fait au début du XIX siècle par la commune. Relevé de Juliette Bois-Gerets, encore elle…
Figure 3 : le Puy-en-Velay, place du Clauzel, cimetière du Grand Clauzel : synthèse des observations réalisées pendant les travaux 2007 – 2009, sur fond cadastral (2008). La précision du plan est proportionnelle au temps passé sur le chantier et aux conditions de relevés. Au nord du plan, on distingue bien les deux sondages de Karen Chuniaud (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) réalisés en 2007 sur la zone déjà observées par Auguste Eymard en 1848, et le mur de clôture nord du Cimetière, avec les 4 tombes fouillées en 2008 par Pierre Vallat (INRAP). Relevé de Juliette Bois-Gerets, d’après les observations d’Elise Nectoux et de Jean-Louis Voruz.
Figure 4 : Le Puy-en-Velay, place du Clauzel, coupe C2 ouest-est. Cliché après nettoyage, Elise Nectoux le 14 janvier 2009.
Figure 5 : Le Puy-en-Velay, place du Clauzel, coupe C2 ouest-est, relevée en janvier 2009. 1 : Goudron et remblais récents ; 2 : limons bruns et nombreuses sépultures ; 3 : limons argileux compacts avec des pierres ; 4 : limons argileux plus aérés, très peu de pierres, quelques ossements humains. A la base, une sépulture (datée XIe par C14) creusée dans la marne avec une pierre triangulaire en basalte : stèle ? 5 : marnes jaunes oligocènes. A gauche, caniveau moderne. Relevé Elise Nectoux.
Bonjour ,Jean-Louis.
J’ai laissé un commentaire pour toi , mais sous l’article d’un autre archéologue… M . Mazaudier!
Au Plaisir de de lire. Karinne Ast Camara
Connaît-on l’origine de la dénomination de cette place.
A qui attribuer ce patronyme : clauzel ou Clozel très usité en Vivarais
Au 17e ou 18e siècle.??
Bonjour,
Le sujet est « deterré » puisque la place du clauzel reçois de nouveau aménagements, de nouveau des ossement humains ont été découvert. En espérant que les travaux soient stoppés et qu’un fouille archéologique soit effectuée.