Les portes fortifiées du Velay, l’exemple du Charrouil (Loudes)

Par Mélinda Bizri

 Le Charrouil, situé sur la route de Clermont à l’est de Loudes, est cité une première fois dans les textes en 1266, comme possession d’un chanoine du Puy issu de la famille de Ceyssac. Le site occupe une proéminence rocheuse où l’espace est divisé en deux pôles (fig.1 ) séparés par un passage fortifié (fig.2 ).

fig1 plan general du site - Le Charrouil   fig2 plan de la porte avec le logis moderne - Le Charrouil

Description du site

fig3 la porte - Le CharrouilLe passage fortifié s’élève sur deux niveaux (fig.3 ). La partie du rez-de-chaussée correspond à un sas fortifié ; elle est prolongée à l’ouest à l’époque moderne par un couloir couvert d’un enduit blanc à faux-joints rouge et d’une petite galerie de style renaissance à ogive retombant sur des consoles classicisante.

L’étage comportait le logement de la herse. Cet espace correspond actuellement à une salle voûtée en berceau. Il a été agrandi et ouvert sur trois de ses côtés lors de l’aménagement du logis moderne.

fig4 detail du sas - Le CharrouilLa porte est construite dans un appareil de pierre de taille en brèche volcanique. Les transformations sont lisibles en élévation : ce sont les changements de mise en œuvre et d’appareillage qui les révèlent. L’arcade de la porte a été remontée en partie sud, ce qui a perturbé la forme de l’arc qui est aujourd’hui en plein-cintre alors qu’il devait être en arc brisé comme l’attestent les dispositions arrière des refends pour la herse, l’assommoir et l’arc de la porte (fig.4 ). Le piédroit nord a été enveloppé d’une chape de béton projeté et n’est plus lisible. Les niveaux et les murs sont progressivement réaménagés en habitations avec des matériaux contemporains (rejointoiement cimenté, dalles de béton, etc).

Une courtine en basalte prolonge la porte au nord. Le logis moderne est venu s’accoler contre la courtine. Sur une photographie avant rejointoiement des murs, il est possible de voir les césures du percement des fenêtres à meneaux modernes sur cette courtine qui à l’origine devait être aveugle.

La courtine en basalte et le passage fortifié ne sont pas liés par les maçonneries. Si ces éléments ne sont pas construits en même temps, ils semblent toutefois se succéder rapidement l’un à l’autre.
En effet, la porte et la courtine sont percées chacune au même niveau d’une ouverture de tir type arbalétrière à étrier. Construite en moellon de brèche et au gabarit très proche, elles diffèrent cependant légèrement :

   Arbalétrière
de la porte (fig.5)
  Arbalétrière
de la courtine (fig.6)
 Hauteur de la fente de tir 110 cm.   100 cm.
 Largeur de la fente de tir 10 cm.  10 cm.
 Étrier  20-23 cm. Non connu (remanié)
 Ébrasement externe  aucun aucun
 Ébrasement interne Linteau. Tir plongeant. Niche à arc plein-cintre
 Épaisseur du mur  80 cm.  120 cm.

L’arbalétrière à étrier visible à l’étage de la porte en face nord n’est plus accessible ; elle est à moitié bouchée par un mur remonté. Celle de la courtine est masquée en partie à l’extérieur par un bâtiment et à l’intérieur par une terrasse bétonnée.

fig5 arbaletriere - Le Charrouil   Fig.6 Arbalétrière sur la courtine de basalte (cliché M. Bizri).

Comparaisons régionales

Le sas fortifié de la porte fait se succéder plusieurs contraintes à la circulation : une  herse, un assommoir puis des vantaux. La multiplication des obstacles renforce la défense de l’entrée, point le plus vulnérable du castrum. Ces nombreuses entraves à l’accès du castrum témoignent d’une certaine élaboration de la fortification. Jusqu’à la fin du XIIIe s. les entrées ne sont souvent qu’une simple porte percée dans la courtine. L’élaboration du sas d’entrée multipliant les obstacles se développe dans la seconde moitié du XIIIe s. pour aboutir ensuite à de véritables châtelets d’entrée comme la porte Pannessac du Puy-en-Velay encadrée de tours circulaires munis de mâchicoulis trilobés.

Pour le Velay et la Haute-Loire, plusieurs portes fortifiées offrent des exemples se rapportant aux dispositions du Charrouil.

A la Chaise Dieu, la porte se situe sur l’enceinte du bourg abbatial en partie nord-est. Elle est peut-être à mettre en relation avec les grands travaux ayant eu lieu à l’abbatiale entre 1344 et 1352 sous la papauté de Clément IV (1342-1352). Le sas vantaux-assommoir-herse se situe en avant de la courtine comme au Charrouil. L’arc de passage a été abaissé à une époque ultérieure.

A Léotoing, la porte se situe sur l’enceinte du castrum, elle a été aménagée en avant de la courtine venant multiplier les obstacles. La première ouverture dans la courtine semble avoir été aménagée dans le courant du XIIIe s. et l’avant corps, composé d’un arc de mâchicoulis ayant pu servir comme assommoir, s’est ajouté postérieurement dans la deuxième moitié du XIVe s. ou le courant du XVe s., lors des troubles dus aux passages des Routiers.

A Chapteuil, la porte du castrum est encore conservée en élévation (le reste du site est très ruiné). Elle présente les mêmes dispositions que la porte de Léotoing dans un contexte cependant homogène. Les murs ruinés du reste du site ont une mise en œuvre similaire à la porte soit un appareil de prismes de basalte assemblés à joints fins. Les claveaux des arcs des portes se détachent du massif par l’utilisation d’un appareil taillé de grès (arkose de Blavozy). Les vantaux de la porte étaient maintenus fermés par des barres horizontales (encoches dans les piédroits). La porte était défendue d’une herse. La tradition a fait placer cette porte dans le courant du XIIIe s. Le castrum de Chapteuil fait l’objet d’un long procès de succession qui a opposé pendant plusieurs décennies les héritiers de Pons de Chapteuil et l’évêque Frédole du Puy. Ce dernier obtient gain de cause à la fin du XIIIe s. Le site était très convoité par l’évêque parce qu’il appartenait d’une part à un lignage fortement possessionné en Velay, donc menaçant pour le pouvoir épiscopal, et, d’autre part parce qu’il occupait un lieu de passage important sur la route menant au Vivarais. Avec ce site, les évêques se rendaient donc maîtres de la zone du Meygal. Une fois rentrés en possession (1290), les évêques ont très bien pu procéder à un remaniement total du site comme cela s’est produit à Monistrol (après l’achat du château par les évêques, le château de Monistrol est entièrement refait à neuf en 1355). Le château de Chapteuil bénéficie d’entretiens renforcés pour sa défense et sa garde en 1343-1345 puis en 1384-1388. C’est donc plus probablement entre 1290 et 1343 que le château a pu être remanié dans son ensemble.

A Arlempdes, la porte du castrum bas s’ouvre par un arc légèrement brisé, en appareil taillé de brèche volcanique. Le passage est un simple sas. L’étage au dessus du passage est en appareil de moellons de basalte et semble avoir été rajouté postérieurement. Si une inscription donne la date de 1066 pour l’érection de la porte, en revanche, sa mise en œuvre actuelle évoque la fin du XIIe s. (arêtes vives, claveaux larges, arc légèrement brisé).

Enfin, à Polignac, la porte d’entrée de la forteresse (l’avant-dernière menant au site) présente un dispositif plus avancé vraisemblablement mis en place dans le courant du XIVe s. qui combine arc de mâchicoulis et pont-levis à flèche.

La mise en place d’une chronologie pour les portes de castrum est loin de s’établir aisément. La datation varie au cas par cas d’une part suivant les évènements historiques qui ont pu favoriser la mise en défense d’un site (insécurité, autonomie d’une communauté lors de l’attribution d’une charte de franchise, entrée en possession d’un nouveau seigneur, etc.) ; d’autre part, la datation peut s’appréhender suivant les éléments stylistiques (mise en œuvre, décor) et défensifs (avancées techniques). Aussi, les chronologies de l’aménagement de portes fortifiées varient d’une région à l’autre.

     Longueur massif   Longueur passage Largeur passage
  5,50 m. 2,30 m. 2,10 m.
Léotoing 5,50 m. 3 m. 2,50 m. 
Chapteuil 5,50 m. 3,05 m. 2,55 m.
 La Chaise Dieu non renseign 4,75 m.  2,80 m.

Les gabarits des portes du Velay sont très proches, cependant comme on l’a vu plus haut, leur contexte de mise en place et leur chronologie diffèrent à chaque cas. Si les mesures ne permettent pas de réellement singulariser une chronologie, en revanche d’autres éléments viennent en aide pour approcher la datation du Charrouil.

Pour le Charrouil, en effet, la porte conserve à l’étage une arbalétrière à étrier, élément à prendre en considération d’autant qu’aucun autre site en Velay ne conserve ce type d’ouverture de tir. L’archère en rame est plus présente dans certains édifices du XIIIe s. de Haute-Loire tels que Arzon ou Chassignolles, cependant cette forme est plus précoce que l’arbalétrière (première moitié du XIIIe s.).

Ces éléments considérés nous permettent de proposer une mise en place de la porte du Charrouil dans la deuxième moitié du XIIIe s. soit dans une chronologie identique à l’élaboration de ce type de passage dans les châteaux du nord de la Loire.

Bibliographie

ADHL G101 et G103 – Châteaux des évêques.
Barbier (Pierre) – Châteaux-forts en Basse Auvergne, impr. Jeanne d’Arc, le Puy, 1979, art. Léotoing.
Chassaing (Augustin), Jacotin (Antoine) – Dictionnaire topographique du département de la Haute-Loire, Paris : Imprimerie Nationale, 1907, réimpr. 1996, Presses universitaires de Saint-Etienne, 393 p. art. Charrouil.
Mesqui (Jean) – « Les fortifications des portes avant la guerre de 100 ans », Archéologie Médiévale t. XI, 1981, p. 203-229.
Phalip (Bruno) – Le château et l’habitat seigneurial en Haute-Auvergne et Brivadois entre le XIe s. et le XVe s., Essai de sociologie monumentale,  thèse de doctorat art et archéologie sous la direction de Anne Prache, 1990, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 6 vol.

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À propos de Mélinda Bizri

Doctorante en histoire de l'art et archéologie médiévale à l’Université B. Pascal de Clermont‐Ferrand II, Doctorat en cours intitulé « Le paysage fortifié du Velay (43) à la fin du Moyen âge (XIIIe - XVe s.) »
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